dimanche 16 décembre 2012

« Le monde de la musique » - n°98 – Mars 1987

Coupure de Presse : « Le monde de la musique » - n°98 – Mars 1987
NOIR DÉSIR
Où veux-tu que’je r’garde.

Au début, rien. Le diamant frotte le vinyle, et rien. Ou si: la batterie sur le sentier de la guerre, la basse qui épaule, la guitare qui met en joue et deux ou trois accords de piano qui font les sommations, discrètement. On songe aux couleurs souterraines du dernier Died Pretty ou encore - et surtout - à Gun Club. Pas si mal pour un groupe français, mais bon... Puis la voix entre dans le jeu, agréable, un peu geignarde quand même, sentant sa jeunesse, Paul Personne sans les cailloux dans la gorge. Et la voix chante: « J’ai tremblé c'est un signe / Je ne resterai pas digne / Les cas extrêmes sont toujours les mêmes. » Surprise. Rockers Intelligents, sensibles au texte. Curieuse aussi cette rencontre, présagée improbable, de Gun Club et du français ; cette sensation que, dans la langue, quelque chose a été forcé. Comme chez Gainsbourg, mais autrement. Comme chez Bashung, mais autrement.
On continue. Après un constat clinique (« J’ai la nausée quand je reste assis ») et une affirmation prémonitoire désolée (« Oh je n'ai jamais pu l’oublier / L’odeur des endroits où j’irai / C'est une question de moeurs »), on croise subitement l'ombre pendue de Nerval au beau milieu d'une satire circulaire des snobs: « Ah! pouvoir partir et mourir avec El Desdichado et oublier les salons gris où la classe supérieure danse encore du bout des... » Nouvel étonnement.
Alors on se renseigne. Noir Désir est un groupe de Bordeaux, berceau de La Boétie, Montaigne et Montesquieu. Voilà qui expliquerait peut-être la littérature. Et la musique ? Sollers, autre écrivain du cru (mais plus jobard), dit quelque part que « Bordeaux est un signe de ralliement sudiste. » Théorie audible dans le disque à travers l'harmonica south-western qui chuinte en suspens et cette fièvre jaune, bourbeuse, fièvre des marigots qu'inoculent les sept titres (en effet, il ne s'agit pas d'un 33-T, mais d'un simple mini-LP. Comme au poker, sept titres pour voir, sept petits titres et puis s'en vont, ou encore : « Tourne ta langue sept titres dans ta bouche avant d'enregistre r»).
A ce point, je devrais avoir le courage d'être critique, de chipoter un peu: sur la voix (déjà dit), mais aussi sur le manque de concision des compositions, malgré la production tout en angles de Théo Hakola (Passion Fodder). C'est vrai, ce disque est imparfait. Cette vertu-là, la perfection, attendra encore un peu. Mais de deux choses l'une. Primo, ce mini-LP est symbolique d'un renouveau du rock français. Comme en 77/78 sous l'impulsion de Téléphone, les major compagnies ont l'air de croire à nouveau aux groupes, aux guitares, au rock
( ainsi Barclay a aussi signé Gamine, un autre groupe de Bordeaux dont on attend le
45-T), Secundo, ce disque n'est pas un disque.
C'est une préface, un préambule, une déclaration d'intentions, l'annonce d'un trajet, une levée d'ancre. Non pas le plaisir brut mais sa seule amorce, non pas l'extase mais son vestibule où l'on goûte l'émotion de l'attente avant l'émotion de l'extase elle-même. C'est donc ce qui suivra ce mini-LP qui nous intéressera tout particulièrement.
Arnaud Viviant.
Barclay



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