mardi 11 décembre 2012

Tostaky, la réedition en vente libre !

La réedition est donc disponible depuis hier, vous y trouverez un lien vers une page où télécharger les photos ou la biographie du groupe.
Le lien : http://labelbarclay.fr/?p=301

Biographiehttp://labelbarclay.fr/wp-content/uploads/2012/12/NoirDesir_bioTostaky20ans.pdf
Tostaky a vingt ans. Et son impact est intact. Encore aujourd’hui, tout est là, pas de doute.
Tostaky ? C’était l’album qu’on n’espérait plus. Des cordes vocales en vrac. Trop de rumeurs de split dans l’air. Tostaky, c’est le yin et le yang. Du bruit et des balades. L’art de mettre les tripes sur la table et l’amorce d’une consécration. Plus liée à la tournée qu’à l’album lui-même.
Tostaky c’est la fin de l’adolescence. Avant lui Noir Désir se cherche encore. Avec, il se trouve. Ensuite, il développe, explore, explose. C’est un virage aussi. La fin d’un chapitre. Le dernier album avec Fred, le bassiste historique, parti réaliser ses rêves de grands larges. Tostaky, c’est l’album slogan d’une génération qui s’est répétée en boucle son «soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien» en ruminant ses engagements à venir. La bande son idéale dans le paysage d’une époque pleine d’utopies, encore, mais déjà consciente finalement de foncer droit dans le mur.

One trip, one noise. Dans l’air du temps, exactement. Car du bruit il y en a partout. Du bruit et de la fureur. Nirvana, en un an, a tout ravagé sur son passage et Sonic Youth talonne derrière, sur la même major, enfin révélé au grand public. Côté débutant, PJ Harvey sort Dry, son premier album. Chez les frenchies, Bashung a osé Joséphine. La Mano Negra fait du cabotage en Amérique du Sud, à bord d’un cargo déguisé en village français. On est en 1992. L’année Colomb. Ils chantent l’Amérique perdue, l’Amerika Perdida et les ravages des conquistadors. Mais la violence et les combats ne sont pas que commémorations. À l’heure où l’Europe signe Maastricht, Sarajevo est en flammes, la guerre se propage. Aux États-Unis, les flics qui ont tabassé Rodney King sont acquittés et les émeutes font rage. Il y a des choses qui semblent encourageantes aussi. Comme le Sommet de la Terre à Rio. Voilà pour le décor. Retour sur la naissance de l’album.
La rage bouillonne aussi du côté des Noir Dez. Il faut dire, ils commencent à en avoir des kilomètres au compteur, des trous d’air, des tensions et des brûlures. La tournée précédente les a usés. Ça fait sept ans que le groupe existe et deux fois plus que ses musiciens se connaissent. Ils ont décidé d’un break, sans option de retour arrêtée, ça passe ou ça casse. Bertrand rentre du Mexique d’où il ramène une composition articulée autour d’un slogan fleurant bon le zapatisme (¡Todo está aquí !), qui, combinée au riff explosif de Sergio et à la rythmique du groupe donnera naissance au morceau Tostaky. Fred plaque aux Canaries son bateau et ses projets transatlantiques. Sergio et Denis étaient partis moins loin. En exploration pour le premier. Battre la cadence avec Edgar de l’Est pour le second. Une expérience qui lui donnera l’idée de troquer à l’occasion ses baguettes pour des balais (c’est le cas sur Marlène, chanson à laquelle participeront d’ailleurs Edgar et Isabelle).

Les retrouvailles donnent naissance à plus de titres qu’ils ne pourront en enregistrer. Les maquettes l’attestent : le son est déjà là, puissant et ravageur. «On avait l’envie de revenir et plus que jamais de revenir avec quelque chose de différent». Rien n’est prévu mais très vite, tant qu’à être réunis, instinctivement, ils reprennent les choses là où ils les avaient laissées. Au précédent album, Du ciment sous les plaines, source de frustrations et de clash, tenté sans producteur ni moyen. Ce dont ils rêvent depuis, c’est d’un live. Ou plutôt de réussir à restituer sur disque l’incroyable puissance qu’ils dégagent sur scène et n’ont encore jamais réussi à capturer. Cette fois ce sera la bonne. Grâce entre autre au tandem choisi pour officier en studio derrière la console, une équipe issue de l’underground noisy américain, recommandée par les angevins de Dirty Hands : Ted Niceley et Eli Janney. Des noms qui ne veulent pas encore dire grand chose pour ceux qui viennent de découvrir le Grunge. Un symbole pour ceux qui louchaient vers les States bien avant, du côté hardcore de la force, vers Washington DC et le label Dischord. Ted Niceley, producteur de Fugazi (ce qu’on peut faire de mieux en matière d’intégrité et d’éthique) et Eli Janney, ingénieur du son et bassiste/clavier des Girls Against Boys.
Fin août 92, ils sont prêts à enregistrer. Départ pour Londres et léger contretemps. Le studio réservé est trop petit, une bête erreur de conversion entre les mètres et les pieds. Impossible d’y faire tenir tous les musiciens simultanément pour effectuer des prises live. Une semaine durant, Ted et Bertrand sillonnent l’Angleterre à la recherche d’un studio de remplacement, pendant que le reste du groupe continue de travailler. Ils finissent par trouver la perle rare : le Hook end Manor, un manoir élisabéthain du XVIe siècle, niché dans un parc boisé de 250 hectares. Paumé au milieu de la campagne, non loin néanmoins de Reading et de son célèbre festival. Au programme cette année là, les Beastie Boys, Mudhoney, Melvins, L7 et surtout Nirvana, des potes de Ted et Elie. L’occasion d’une petite thérapie par le bruit pour oublier la semaine perdue et se mettre dans l’ambiance avant de commencer l’enregistrement. Dave Grolh en personne vient récupérer le groupe sur le parking et l’entraîne backstage. C’est depuis la scène, entre Jim Jarmush et Nick Cave, à l’affiche lui aussi, que Noir Désir assistera au concert : un show cynique et décapant. Mais le plus impressionnant ce sera de voir Cobain, à sa sortie de scène, littéralement assailli par plusieurs centaines de photographes et de journalistes, paraissant tout petit et vulnérable au milieu des micros. «Là, on a ressenti un vrai malaise. On s’est dit que devenir célèbre ça n’avait rien d’enviable».
De retour au studio, surprise, d’autres festivaliers se sont invités pour la nuit. Pas de problème, des chambres il y en a une vingtaine ! Plus étonnant, l’identité des joyeux drilles : Madness. Des habitués des lieux. Les Noir Désir en auront la confirmation par hasard quelques jours plus tard en se livrant à leur sport favori : la  bataille de polochons. Bertrand se réfugie dans une armoire dont le fond cède, révélant un grenier et une malle, pleine de photos, de bandes originales et de disques d’or leur appartenant. Autre découverte du séjour, au détour d’une clairière, un hangar, type aviation, qui pique leur curiosité. À l’intérieur, les décors de cinéma de The Wall et quelques accessoires mythiques évoquant les Pink Floyd. Un musée ? Non, le garde-meubles du précédent propriétaire du manoir : David Gilmour ! Morceaux de murs et marteaux géants, portes dérobées, pièces mystérieuses, grandes cheminées et lits à baldaquin... Malgré le décor limite maison hantée, pas de délire Shining. Au contraire. Le côté un peu monastique des lieux leur convient à merveille, les change des précédentes expériences d’enregistrement : trop de passages, trop de sollicitations. «Là, une fois qu’on est rentrés dans les prises, on n’a plus bougé». Vous êtes du genre bosseurs ? «Non, justement, c’est pour ça qu’on prend des précautions !». Ambiance huis-clos. A quelques exceptions près. L’un des rares visiteurs sera Paul Weller, à la recherche d’un studio pour son prochain album. Et Gary Moore, le voisin, chez qui ils iront sonner, en manque d’ampli, sur les conseils du majordome (“le mec d’à coté, il en a plein”). Un majordome ? Ben oui, c’est un vrai manoir, avec toute la panoplie british vieille école. Les repas se déroulent dans une immense salle, en grande cérémonie. Il faut sonner pour se faire servir. Pas trop le genre des Noir Désir qui au bout de trois jours s’invitent dans la cuisine. Un peu interloqué au début, le personnel finit par s’habituer au mode de vie du groupe, au point de lui installer un frigo garni, spécialement pour les fringales de milieu de nuit ! Tout le monde est aux petits soins.
Les conditions sont optimums. La personnalité de Ted Niceley aide aussi. Il a un effet apaisant. Il réussit à canaliser les énergies, pousse chacun à donner le meilleur et sait désamorcer les moments de tensions. La barrière de la langue se transforme en atout : pas de raccourci ou de private jokes faciles, il faut réussir à exprimer l’essentiel, développer de nouvelles formes d’échanges. Musicalement, c’est vraiment un album de groupe, qui évolue à mesure qu’il est joué. Pour la première fois, ils travaillent morceau par morceau. «Jusque-là, on avait toujours commencé par enregistrer toute la partie rythmique, basse/batterie. Du coup, Denis était le premier à avoir fini. Là, on bosse vraiment tous ensemble. Chacun reste motivé et impliqué jusqu’au bout». Pour optimiser la logique du live, l’estrade sur laquelle est juché Denis en concert, a été remontée et installée sur roulettes. «Comme ça, ils m’ont baladé dans tous les coins de la pièce, jusqu’à trouver l’endroit où ça sonnait le mieux !». Pas le temps de s’ennuyer. Tout sort de façon plus naturelle et mûre. L’atmosphère elle-même s’en trouve “subtilement différente” : «On discutait avec les guitares autour du cou, tous dans la même pièce entre deux prises du même titre à l’évidence différentes. On parlait ambiance et sensations. Pour la première fois, le studio nous servait véritablement de miroir. On faisait ce qu’on savait faire, mais quelques crans plus haut, et on s’en rendait compte. Du coup, tout a été plus vif, plus tranchant, plus spontané, plus libre et, au fond, plus serein».
À l’arrivée, trois balades et de l’artillerie lourde. «L’album était pas mal écrit avant de partir en studio. On avait pris du temps pour faire des maquettes et des pré-maquettes, un travail plus poussé que d’habitude. Mais il y aussi des choses qui sont nées sur place». Comme Lolita nie en bloc. Les paroles de It spurts. La décision de reprendre Johnny Colère, des Nus, une des premières influences françaises avouée par les bordelais, et I want you des Beatles, à la tronçonneuse. L’écriture aussi a évolué. C’est plus fulgurant, des images et du chaos, des flashs. Du fond aussi. «C’est un album ouvert sur l’extérieur, moins nombriliste, imbibé de la conjoncture sans traiter forcément de tel ou tel sujet. Mais tout se rejoint : le malaise que tu ressens en toi et la marche globale du monde. L’écart se creuse avec les pays du sud et on touche le fond du fond avec la guerre en Yougoslavie. Il est temps de se réveiller, les choses ne sont plus viables. Tout est politique et on ne croit plus dans les hommes qui incarnent la politique, il y a danger. C’est un album de lutte, ni optimiste ni pessimiste. Tout peut changer, c’est très ouvert, il faut se prendre en main, c’est tout».
Quand Tostaky sort, le premier indice qu’on en perçoit, c’est la pochette, signée d’un des plus grands noms du moment, Anton Corbijn, le photographe référencé Depeche Mode et U2. Avec Noir Désir, le courant passe de suite. La session se déroule à Reading, dans une atmosphère si décontractée que Corbijn, au lieu de rentrer directement à Londres, reste passer la soirée avec eux au manoir. Parties de snooker et bières. Pour la couv de l’album, le groupe choisit une photo où tout le monde tourne le dos. Cette image, a posteriori, sera décryptée comme un concept anti-communication. Une façon de faire, que l’on retrouve aussi dans le clip et les étranges petits spots de pubs d’Henri-Jean Debon, loin des codes classiques, décalés jusqu’à déranger parfois !
Pour intransigeant qu’il soit, l’album ne déroute pas les fans. Si la base reste acquise, il réussit aussi à toucher un nouveau public. Les médias, au début du moins, sont plus durs à convaincre. Certaines radios, pourtant auto-proclamées rock, refusent de passer le disque : trop bruyant, trop de guitares, trop de hurlements. D’autres jouent le jeu comme Zégut, sur RTL, allant jusqu’à proposer au groupe une session live. L’ambiance est chaude et arrosée. Un peu trop ! Résultat, des petits moments de lucidité géniale mais beaucoup de déchets. Le set n’est pas diffusé en intégralité et accède directement au statut d’émission culte. Pour se rattraper, Noir Désir offre à la radio la diffusion d’un de ses concerts, celui du 13 février à Vandoeuvre-lès-Nancy, et elle ne perd pas au change. Des enregistrements il y en aura beaucoup d’autres tout du long de cette tournée à guichets fermés. Ils donneront lieu à un Dies Irae ébouriffant, témoignant d’un groupe au sommet de son art. Eux qui étaient sortis épuisés de la précédente tournée, se retrouvent à nouveau lancés dans un marathon éreintant. «On s’était dit que cette fois on ferait cinquante dates maximum et on s’est laissés embarquer par la machine et le plaisir de jouer : deux ans et demi sur la route. A la fin, on ne faisait même plus de balance. On restait dormir le plus longtemps possible pour récupérer et on montait direct sur scène pour enchaîner deux à trois heures de concert ».
Leur puissance scénique leur ouvre des perspectives internationales («avant Tostaky on était reconnus en France mais on n’existait pas à l’étranger»). Les préjugés et les doutes qui entouraient les nouveaux morceaux explosent en vol. Les concerts finissent par imposer l’album. «C’est venu du public ; ça a toujours été le cas. Les concerts ont été pleins tout de suite. Une dynamique s’est mise en marche». Une nouvelle dimension aussi. L’album est certifié double disque d’or en quelques mois. Les suivants dépasseront le million. A tous points de vue, Tostaky reste un album charnière. «À ce moment-là, nous étions en équilibre, à un point de non-retour. Toute la sauvagerie et la liberté s’exprimaient sans réserve, honnêtement. C’était un moment de grâce terriblement tendu et furieusement humain. Tout près de la limite. Nous avions sans doute déjà l’intuition que tout cela devrait plus tard être cadré et rationalisé, que nous étions en train de célébrer quelque chose dont, demain, nous aurions perdu une petite part».

Emmanuelle Debaussart











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